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Photo du rédacteurRoda Feraru

Bail commercial et crise sanitaire: les outils au bénéfice du preneur en difficulté de paiement

Dernière mise à jour : 3 mars 2021

Pendant la période de confinement, certains preneurs ont imaginé, avec un certain succès, invoquer des principes et dispositions de droit commun pour éviter les sanctions liées par le non-paiement de leurs loyers commerciaux .


Dans notre article précédent, nous avons passé en revue les aménagements qui ont été apportés pendant la crise sanitaire en matière de paiement des loyers commerciaux, par le biais de mesures exceptionnelles mises en places par le gouvernement.

Attardons nous désormais sur les principes et dispositions de droit commun qui ont permis à certains locataires, ou pourraient permettre le cas échéant, d'éviter les sanctions ou mesures générées par le non-paiement des loyers commerciaux pendant la période de confinement.


2. Les outils du droit commun : force majeure, imprévision, exception d’inexécution


En sus de ces dispositions particulières, les praticiens se sont interrogé sur l’éventuelle application des principes de la force majeure, de l’imprévision et de l’exception d’inexécution.


a. L’argumentation basée sur la force majeure a été rapidement écartée concernant les loyers en ce qu’elle n’est pas applicable au paiement de sommes d’argent.


b. La théorie de l’imprévision quant à elle offre la possibilité de réviser le contrat, sur le fondement de l’article 1195 du code civil. Contrairement à la force majeure, l’imprévision peut s’appliquer même si la crise sanitaire ne rend pas l’exécution du contrat impossible mais simplement excessivement onéreuse.


A noter qu’il s’agit d’une opportunité de réviser le contrat, mais non de se dispenser du paiement des loyers et charges.


L’article 1195 du Code civil dispose :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».


Cet article comprend trois conditions cumulatives :


  • Le changement de circonstance doit être imprévisible au moment de la formation du contrat, ce qui ne pose pas de réelle difficulté en ce qui concerne la survenance de l’épidémie de COVID 19 pour les baux signés avant la fin 2019 ;

  • Le changement précité doit rendre l’exécution du contrat « excessivement onéreuse », ce qui sera soumis à l’interprétation du juge. Une simple difficulté dans l’exécution ne suffira pas, il faut que l’exécution du contrat reste possible mais soit de nature à exposer le preneur à la ruine.

  • Le preneur ne doit pas avoir accepté le risque de l’imprévision par une clause du bail dérogatoire à l’article 1195 du code civil.

L’objectif de cette disposition est d’inciter les parties à renégocier le contrat, par exemple en proposant un départ avant l’échéance contractuelle, en diminuant le loyer ou en modifiant les termes de paiement. En tout état de cause, pendant la période des négociations, le preneur doit continuer de payer son loyer contractuel.

A défaut de négociations fructueuses, la partie qui souhaite voir son contrat révisé pourra saisir le juge en ce sens. Les saisines risquent toutefois d’être nombreuses et les délais longs en raison du nombre de candidats potentiels à cette procédure.

c. Enfin, certains exploitants ont vu leurs locaux totalement fermés, un arrêté du 15 mars 2020 ayant interdit l’accueil du public jusqu’au 11 mai 2020 dans certains établissements.


Ces locataires ont alors invoqué le défaut de délivrance du bailleur, qui justifiait, selon eux, qu’ils se dispensent de régler leurs loyers, au titre de l’exception d’inexécution.


En effet, le bailleur est tenu, aux termes de l’article 1719 du Code civil, de délivrer à son locataire des locaux conformes à l’usage auquel ils sont destinés. Il est également tenu de lui assurer la jouissance paisible de ces locaux.

Or, si l’accès aux locaux est interdit, le bailleur manque à ces obligations, quand bien même il n’y serait pour rien.

Dès lors, en contrepartie, et selon ce raisonnement, le locataire ne serait plus tenu de payer ses loyers puisqu’il ne peut pas jouir des locaux.

Tel a été le raisonnement présenté par certains locataires pour justifier le non-paiement des loyers commerciaux pendant la période de fermeture des locaux imposée par les mesures gouvernementales.


En effet, l’exception d’inexécution ne suppose pas une faute de l’autre partie. Il suffit simplement que l’une des parties n’ait pas respecté son obligation pour que l’autre partie se trouve fondée à échapper à ses propres engagements.

Car les bailleurs ne sont évidemment pas responsables de la crise sanitaire et de la fermeture des établissements. Il n’en demeure pas moins que les locaux étaient rendus inexploitables, de sorte que les preneurs soutenaient que les loyers n’étaient pas dus.

Le fait que ce soit la force majeur ou le « fait du prince » qui empêchent les bailleurs de délivrer les locaux n’est pas un motif susceptible de faire échec à l’application de l’exception d’inexécution.

L’absence de faute des bailleurs leur permet toutefois d’échapper au paiement de dommages et intérêts, mais ce serait là une maigre consolation.

Et surtout, pour que le locataire puisse invoquer l’exception totale d’inexécution, il faut que les locaux aient été totalement inexploitables, comme par exemple pour une salle de sport ou de cinéma. Mais cela ne sera probablement pas le cas pour un restaurateur qui pourrait continuer à proposer des plats à emporter, quand bien même son établissement serait fermé à la restauration sur place.

Pour avoir une position claire, les décisions de Cours d’Appel, et le cas échéant de la Cour de cassation, sont attendues avec intérêts !

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